Bref résumé

Entre origine et arrivée, Savina Seo a façonné un langage artistique singulier – tantôt discret, tantôt éclatant, toujours multiple et profondément ancré dans son intériorité. Ses œuvres se déploient entre sculpture et peinture, passé et présent. Ce qui fut d’abord une quête est devenu affirmation d’autodétermination et de puissance créatrice. Par son art, Seo ouvre des espaces – pour la mémoire, la transformation et de nouveaux regards.

Famille en plâtre : l’art comme réponse à une histoire personnelle

Au cœur de Zurich, juste à côté de la gare, Savina Seo crée ses œuvres depuis qu’elle a installé son atelier en 2023. Et là, elles se dressent : des sculptures arrondies, douces, empreintes de délicatesse. Réunies sur une table près de la grande baie vitrée, face à l’agitation de la ville, se tiennent côte à côte les Seelenwesen (Êtres de l’âme, 2025) – des figures blanches en plâtre, qui rayonnent dans la lumière de cet espace baigné de clarté. Elles ont été réalisées dans le cadre d’une commande pour le parc de sculptures de la Villa Mettlen à Muri, où elles seront prochainement exposées en groupe et mises en vente. Déjà dans l’atelier, elles apparaissent soudées les unes aux autres – une communauté silencieuse, forte et intérieurement paisible.

Les sculptures furent d’abord préformées en polystyrène, puis construites et modelées couche après couche avec du plâtre spécial et de l’enduit. Par rapport à la peinture, explique Seo, la réalisation de telles œuvres plastiques est bien plus chronophage. C’est pourquoi des tirages en cire des originaux ont été produits, permettant la création de reproductions sur demande. Les collectionneurs peuvent ainsi choisir le matériau et la configuration des figures – par exemple des fontes en bronze, appréciées pour leur résistance aux intempéries. Pour cette raison, les originaux exposés au parc seront protégés sous un pavillon – car le plâtre n’est pas durable à l’extérieur.

Au fil du processus de création des Seelenwesen, l’idée de former une famille s’est imposée à l’artiste, qui travaille le plus souvent de manière intuitive. L’une des figures porte même son nom : Savi. Enfant, Savina Seo n’a jamais eu de véritable famille : à trois ans, elle fut adoptée en Suisse par une mère célibataire, après avoir été trouvée abandonnée en Corée du Sud. Ce qui lui a manqué durant l’enfance, elle l’a recréé aujourd’hui à travers ce projet artistique – une famille façonnée avec sensibilité et émotion, comme un lien intime transposé dans la sculpture.

Les figures entretiennent toutes une relation d’ensemble, même si chacune est différente dans sa forme et sa taille. Le blanc et la texture du plâtre les relient néanmoins. C’est aussi pourquoi Seo ne vend pas les originaux séparément – elles sont inséparables, elles appartiennent ensemble. Elle propose en revanche des éditions limitées en plâtre ou en bronze, afin de rendre son art accessible à un public plus large tout en préservant l’intégrité conceptuelle de l’ensemble. Les collectionneurs bénéficient ainsi d’une liberté de choix, tandis que l’artiste garantit que l’intention de son œuvre demeure – car c’est en tant qu’ensemble que les Seelenwesen déploient toute leur force expressive.

Le médium donne l’effet – la transformabilité de l’art de Seo

Certaines de ses œuvres antérieures, suspendues aux murs derrière les sculptures, irradient la même clarté et la même sérénité, fil conducteur de son œuvre. Les champs de couleur vaporeux et nuageux ouvrent des mondes oniriques – ponctués d’accents métalliques intégrés dans ces dégradés subtils. Le métal occupe une place récurrente dans sa pratique : sculptures en bronze, mais aussi délicats éléments d’or incrustés dans ses toiles. Héritage probable de sa formation initiale d’orfèvre. Certaines bronzes sont polies à tel point qu’elles miroitent comme de l’or. Le métal reflète tout ce qui l’entoure comme un miroir, tout en le déformant. Un jeu avec la perception et la matière, avec la lumière et la forme.

Ce qui distingue particulièrement le travail de Seo, au-delà de sa virtuosité technique, est sa capacité d’adaptation artistique – souvent née de considérations pratiques, mais ouvrant toujours de nouvelles voies créatives. Ainsi pour les formats : ses œuvres ne doivent pas être trop grandes ni trop lourdes, afin de rester transportables. Ce choix explique aussi son recours au plâtre – matériau léger, mais fragile. Pour préserver les formes sculpturales tout en leur donnant de nouvelles qualités expressives, certaines ont été fondues en aluminium. Ces pièces gagnent en stabilité, mais aussi en présence esthétique. Des moules en silicone spécialement conçus servent non pas à la production en série, mais à la relecture de certaines œuvres, voire à leur reproduction sur demande. Par cette approche ouverte et processuelle, Seo enrichit continuellement son vocabulaire artistique. Ses œuvres restent mobiles, transformables, toujours prêtes à se déployer dans de nouveaux contextes – le médium dicte l’effet.

Bien que Seo ait également produit de nombreuses œuvres bidimensionnelles, son empreinte sculpturale demeure perceptible. Dans ses peintures, la couleur n’est pas simplement appliquée, mais modelée couche après couche – tantôt discrète, tantôt saillante. Elle décrit ce processus comme magnétique, un développement organique des images. C’est de cette impulsion qu’est né Selene (2021), un monumental clair de lune. Modelé d’abord en argile, transformé ensuite en moules de plâtre, puis en tirages positifs montés sur toile, le relief a été patiemment construit à l’enduit avant d’être peint en acrylique, couche après couche. Le résultat : une profondeur et une texture fascinantes, qui captivent et rendent la matérialité presque palpable. Les toiles de Seo deviennent ainsi des miroirs poétiques des émotions et des souvenirs.

Par l’échelle et la matérialité, la lune lointaine devient soudain tangible. Sa lourdeur la ramène littéralement sur terre – sans l’ôter de son mystère. La surface rugueuse ne correspond peut-être pas à celle de l’astre, mais elle communique une proximité presque intime.

Seo a ensuite réinterprété la peinture en un tirage photographique haute résolution sur fond noir : Mond (Selene) (2024). Là encore, la transformation est flagrante : le tirage possède une présence toute différente, qui déplace le sens de l’original.

Alors que l’original met en avant matière et relief, la photographie crée un effet quasi naturaliste – comme si la lune avait été captée directement dans le ciel nocturne. L’illusion est telle que l’œuvre glisse vers une autre réalité. Seo exposa ce Selene en plâtre aux côtés de son pendant symbolique, Helios (2021) – le soleil. Tandis que la lune flotte dans le silence et la réflexion, le soleil surgit puissant et éclatant, chassant la nuit et annonçant le jour. Ce fut, raconte Seo, une période émotionnelle intense : elle transforma par la lune l’obscurité, et par le soleil, l’espérance.

Un regard vers l’ailleurs

Ce regard tourné vers le ciel – qui nous rappelle notre petitesse – Seo le renverse dans Polar Fjord (2021). Ici, c’est un panorama terrestre qui s’offre à nous, vu d’en haut, dans des formes fluides peintes en glacis délicats. L’immensité de la nature, à la fois visible et insaisissable, nous renvoie à notre fragilité face aux forces naturelles – un sentiment d’humilité autant que de paix.

Cette ouverture à de nouvelles intensités colorées apparaît avec force dans Furioso (2024). En rouge vif – couleur du pouls vital – l’œuvre accueille les visiteurs du Permanence Medical Center, situé sous son atelier zurichois. Ses toiles y transforment l’espace, créant atmosphère, profondeur et résonance poétique.

Cet ancrage dans l’espace témoigne non seulement de la polyvalence de son art, mais aussi de sa sensibilité à transformer les lieux. Sa démarche est claire : trouver des espaces pour ses œuvres, les rendre visibles, accessibles, vécues. Elle expose régulièrement, avec discipline et constance. Pour elle, l’art n’est pas seulement expression, mais dialogue continu avec l’espace, la matière et le sens.

Le pas courageux vers l’indépendance artistique

Seo consacre une énergie immense à son art, même si elle ne peut encore en vivre pleinement. Formée comme orfèvre et couturière, elle a aussi obtenu un diplôme d’hygiéniste dentaire – un socle qui lui permet de conjuguer stabilité et liberté créative.

C’est durant la pandémie qu’elle a décidé de s’engager sérieusement dans l’art. Cette période d’isolement est devenue un tournant, un temps de réflexion qui lui a permis de découvrir sa langue artistique. Depuis, elle avance avec détermination. Son nouvel atelier de la Limmatstrasse, ouvert en 2023, lui offre un espace de renouveau et d’élan.

La pandémie fut donc un moment charnière. Avant, Seo se rendait souvent en Corée, cherchant ses origines, allant jusqu’à reprendre officiellement son nom coréen Seo – geste symbolique de réappropriation et de reconnection identitaire. L’art, lui, est resté la constante : encouragée par sa mère adoptive violoniste, malgré une relation familiale difficile. Quand voyager n’était plus possible, elle s’est tournée vers la Suisse, son pays d’accueil : « J’ai de plus en plus remplacé la Corée par l’atelier », confie-t-elle. L’atelier est devenu son nouveau foyer intérieur, un ancrage dans une biographie complexe.

Arriver et repartir

Malgré la distance géographique, l’art et la culture coréens imprègnent ses créations. Elle en a nourri son langage visuel par ses voyages, ses lectures, ses études artistiques. Elle se reconnaît dans l’éthique de travail coréenne – tempérée par une distance helvétique.

Aujourd’hui, elle ne ressent plus la pression de retourner en Corée, ni le manque d’un « retard » à combler. Elle a transformé artistiquement cette fracture entre origine et présent – et l’a dépassée. Elle s’installe désormais ici, en Suisse. Elle est arrivée. Et elle est prête à avancer.

Ses œuvres – terrestres, légères, souvent empreintes d’air, d’eau ou de lumière – dégagent une force grandissante. Plus ouvertes, plus affirmées, tournées vers l’avenir. Les Seelenwesen en témoignent également : nées de questionnements sur le passé, de désirs intimes, elles incarnent aussi un changement intérieur – un lâcher-prise conscient, qui permet de rêver, de réfléchir et de s’ancrer artistiquement dans sa propre voie.

Découvrez davantage d’œuvres sur le profil de Savina Seo. Son atelier est également visitable sur rendez-vous. Ses créations seront bientôt visibles dans l’exposition Traces intemporelles (Zeitlose Spuren), à la Galerie Toledo Art Studio de Zurich, du 16 au 21 septembre 2025.